[Le retour du FK sur le format Marathon, enjoy la lecture]
Varsovie, District de Praga Poludnie.
24 Septembre 2023.
Il est 5h55, je me réveille avant que l’alarme ne retentisse. Le soleil se lève tôt en Pologne.H-3 du début d’une course dont j’ai tant rêvé : le marathon de Varsovie.
Dans la tête, ce n’est qu’une journée normale pour l’instant qui démarre aux aurores. Les derniers mois de juillet, août et septembre avaient sensiblement ressemblé au début de cette journée. Le réveil est matinal, le petit déjeuner est somme toute classique composé de tranches de pain tartinées de fromage frais et d’un bon café chaud, tout cela sous les yeux attentifs de ma grand-mère chez qui je suis hébergé pour l’occasion. Nous nous parlons avec beaucoup de difficultés, dû à mon faible niveau de polonais. Pour une fois, c’est peut-être une bonne chose, car cela ne me permet pas d’exprimer des émotions profondes, puisqu’il s’agit d’une journée très importante pour moi, je ne dissipe pas mon énergie inutilement. D’un autre côté, je me sens très détaché de l’événement à venir. Etrange, quand on sait que je visualise cette course depuis plus de six mois.
7h45 : Le tramway arrive en station de Rondo Waszygtona. Je m’installe confortablement dans un siège, et le paysage urbain défile. Nous traversons la Vistule, j’aperçois le stade national de loin avec ses écrans rouges et blancs. Dans moins de 2h, le tracé de la course y passera dans les premiers kilomètres. Mais encore une fois je n’ai toujours pas le sentiment de participer à la course de ma vie. Un autre participant doté d’un k-way aux couleurs polonaises monte à bord du tram. Je commence à sentir petit à petit que le départ n’est plus très loin.
8h40 : Après être arrivé sur le lieu du départ au palais culturel et avoir mis en consigne le surplus d’affaires (Pull, Téléphone, T-shirt de rechange, une boisson énergisante), je rejoins le SAS de départ le long de l’avenue Emilii Plater. J’arbore un t-shirt de l’équipe de France des derniers Jeux Olympiques, ceux de Tokyo. Ça me donne le sentiment de ne pas seulement m’offrir un voyage sportif pour mes 30 ans, mais aussi de représenter mon pays dans une compétition bien que je sois qu’un amateur. L’objectif du jour n’est pas clairement déterminé : faire mieux que les 5h14 de mon seul marathon couru alors au mont Saint Michel, il y a déjà plus de 4 ans. La barre des 5h me semble accessible, mais je n’imagine pas faire beaucoup mieux non plus. Ma préparation théorique comptait 3 entrainements par semaine depuis le mois de Mai. Dans les faits j’étais plutôt autour de 2, mais avec un bon kilométrage au mois. J’étais aussi rassuré car dans la dernière année j’avais atteint mes meilleurs chronos sur 10km (49min30), 20km (1h48) et semi-marathon (1h58). Mais le marathon comporte plus de mystères, du fait d’une distance exceptionnellement longue. Je me place néanmoins à proximité d’un meneur d’allure à 4h30, ce que j’estime être très ambitieux, car l’objectif reste moins de 5h.
A 5 minutes du départ, après quelques mouvements d’échauffement collectif, je commence enfin à saisir l’instant, entrer dans ma bulle et savourer le présent au pied du palais culturel. Le départ est donné, j’ai confiance en moi et je suis prêt à en découdre pour améliorer l’ancien record. L’erreur classique de course à éviter c’est le départ trop rapide, je sais que je dois me limiter si je veux tenir dans la durée. Après un premier virage, la course démarre sur une grande avenue de Varsovie Jerozolimskie, un nom en référence à la population juive qui appela le village à proximité de Varsovie Nouvelle Jérusalem. La large avenue est surplombée par une alternance de bâtiments neufs qui lui donne un côté new-yorkais et d’anciens blocks de bétons soviétiques. Pendant la guerre froide, c’était Berlin qui était le centre du monde, mais aujourd’hui ce sera Varsovie pour moi. Et je suis très à l’aise puisque je préfère rapidement dépasser le meneur d’allure de 4h30. On croise tout type de participants, et c’est ce qui est amusant : un monsieur pieds nus qui porte le drapeau polonais, une femme déguisée en poupée barbie encore dans son carton d’emballage. Je dépasse un homme habillé aux couleurs de la Croatie. Cela me rappelle la finale de la coupe du monde 2018 où la France avait décroché une deuxième étoile. C’est tout un symbole que de dépasser ce monsieur, pour aller chercher mon deuxième marathon. On traverse la Vistule, en direction du stade national. Je regrette déjà d’avoir bu près d’un litre d’eau ce matin. Il faut que je m’arrête sur le côté le temps de se soulager. Un peu moins d’une minute de perdue, mais ça compte quand même. Je me dis que je vais accélérer pour être légèrement au-dessus des 10km/h.
Km 5 : 29min44. On est dans les clous des 10km/h. Je ralentis volontairement, car j’ai déjà rejoint le meneur d’allure suivant 4h20 et que ce temps me semble complètement hors de portée. Des ravitaillements sont plus fréquents que sur d’autres courses, environ tous les 3km, contre tous les 5km classiquement en France. De nombreux bénévoles aux ravitaillements sont de jeunes adolescents, qui dynamisent aussi l’événement. C’est festif, à presque chaque km, il y a soit un ravitaillement, soit des animations en musique ou encore des locaux qui supportent sur le bord de la route, parmi eux beaucoup d’enfants qui attendent qu’on leur tape la main. Au km 8, on traverse à nouveau la vistule, on restera du côté Ouest de la ville pour la reste de la course. A l’exception des abords des ponts, le tracé est bien plat, et c’est tant mieux.
Km 10 : 1h00m20. J’ai légèrement ralenti, mais ça ne fait rien. Avec les fréquents ravitaillements, je n’ai pas pris de sac pour l’eau, seulement 4 gels énergétiques dans la ceinture porte dossard. Je mange le premier gel, sans pour autant en sentir le besoin, mais il faut répartir dans la durée l’apport en sucre. L’ambiance est complétement dingue, dans ce quartier du centre-ville. Beaucoup de supporters sont présents de part et d’autre de la route, il y a une effervescence caractéristique des grands événements comme le tour de France. Les supporters ont quelques goodies, font du bruit, et participent largement à l’entrain des coureurs. Cependant il faut rester calme, et ne pas se laisser emporter par l’agitation du moment. La course ne démarrera qu’autour du 30ème km, le fameux mur, que j’avais rencontré dès le km 26 lors du premier marathon qui m’avait obligé à alterner progressivement entre course et marche. Un deuxième arrêt toilettes, et on repart aussitôt. La tête et les jambes sont bonnes, j’ai déjà 5 minutes d’avances sur le moi de 2019. Les kilomètres suivants sont plus calmes aux abords de la course. On longe notamment un cimetière, où il y a naturellement moins d’animation.
Km 15 : 1h29m23. Toujours dans le même rythme, l’ambiance a changé et le paysage aussi. Nous traversons la forêt de Bemowo, située au nord-ouest de Varsovie, sur des longues lignes droites. Autant la course n’a pas de dénivelé, autant les longues lignes droites ne sont pas rassurantes. Je trouve qu’on peut se lasser vite, par la monotonie du chemin, et pire se décourager. Heureusement un petit groupe inattendu sur le côté s’adonne avec joie à un rap au milieu de la forêt. Ca redonne au moins autant d’énergie que les ravitaillements. La route se poursuit, la longue ligne droite est désormais derrière moi.
Km 20 : 1h59m23. Le rythme est inchangé, et je suis hyper confiant. J’ai entre 15 et 20 minutes d’avance sur le moi de 2019, et je me sens toujours bien. Pourtant au km 23, en sortant de la forêt, dans une zone d’activité, je sens le besoin de ralentir un peu. Je suis sur un rythme pour finir en 4h12 jusqu’ici et c’est normal que je ne le tienne pas jusqu’au bout. La fatigue commence à s’exprimer et je ressens des premiers signes dans les ischio jambiers. C’est une petite alerte, mais rien de critique. Je continue mais je me laisse volontairement ralentir, car ce serait dommage de se cramer dès le début de la deuxième moitié de course comme la dernière fois. Le groupe de musique au loin joue un air de jazz de salon, rien de très énergique. Au moment où le peloton de coureur dans lequel je suis passe devant, le batteur change radicalement et improvise un air endiablé. La fougue m’emporte et je lâche mon premier encouragement en criant « Aller ! ».
Km 25 : 2h30m59. Le ralentissement ne se ressent pas encore beaucoup dans le chrono. Ça reste très proche des 10km/h au global. Donc plutôt satisfaisant, mais je me rends compte que je fatigue aussi mentalement parce qu’au lieu de se satisfaire des km derrière moi qui se sont bien passé, j’enclenche le compte à rebours de ceux restants. Aller plus que 17, c’est quoi ? 3 tours du parc proche de chez moi.
Km 30 : 3h04m09. Les ravitaillements sont de plus en plus attendus, le soleil a chassé la grisaille depuis un moment et le corps se réchauffe. J’ai besoin de boire plus d’eau qu’avant. Et heureusement je n’ai pas à attendre 30 minutes entre deux. J’aperçois mes cousines et ma tante postées sur le côté. Leurs encouragements sont brefs, mais font chaud au cœur. Je pense à ma famille en France, qui n’a pas pu venir avec moi faire le voyage. Je veux les rendre fiers, et pour l’instant c’est bien parti. Quand j’ai un coup de mou, j’y repense, et ça me maintient dans une allure toujours suffisamment soutenue et confortable. Nous parcourons les grandes avenues longues et pavées de bâtiments de l’époque communiste. On passe sur un pont. La montée est pénible, mais encore une fois le groupe de musiciens est idéalement placé au bout, et permet de se relancer. Je crie de nouveau
Km 35 : 3h37m25. J’ai du mal à y croire, mais c’est une journée extraordinaire. Je n’ai toujours pas ressenti le besoin de m’arrêter de courir. J’ai espoir que si ce n’est pas arrivé jusque maintenant, c’est que ça n’arrivera peut-être pas du tout. Enfin, ce n’est pas garanti à 100%, puisque les jambes s’alourdissent de plus en plus. Je sens vraiment que ça se complique quand les meneurs d’allures 4h20 me dépassent. Je ne cherche surtout pas à me calquer sur leur allure. C’est trop tard, et je me dis que je suis en train de payer ma vitesse sans doute trop élevée sur le début. Temps pis, il faut finir maintenant malgré la douleur. Au km 38, alors que nous entrons dans la vieille ville, un speaker au micro encourage les participants en lisant les noms sur les dossards. Quand vient mon tour il s’exclame joyeusement « Reprezentaci Francie, Nicolas ! ». Je suis content, mais les km qui viennent sont de plus en plus insupportables. Il y a urgence à ce que ça se finisse ! Les émotions se mélangent, entre fierté d’être aussi avancé dans la course avec un temps qui va forcément être meilleur que celui de 2019, la tristesse de vivre cela dans la douleur et peut être un peu de colère, mais pas de remise en question sur le fait de participer à cette course. Je sais ce que je suis venu chercher, j’y vole.
Km 40 : 4h13m14. Le public encourage vivement « Ostatnie dwie kilometrow !», « Les deux, derniers kilomètres ! ». C’est difficile, mais maintenant c’est un jeu de patience. Il ne faut pas craquer, malgré les douleurs, la pression. Le résultat sera incroyable quoi qu’il arrive, mais je ne veux avoir aucun regret alors je continue de courir même si les pieds et les jambes réclament l’arrêt immédiat. Une descente dans un tunnel sur une rue pavée, une fanfare qui joue un morceau bien encourageant, la montée pour revenir au niveau de la rue est rude. Je me fais dépasser par une participante avec un maillot floqué FRANCE. Je regarde ma montre, le cœur bat la chamade. Le battement cardiaque est trop important, alors je décide de marcher sur une courte distance, peut-être 200m. Le meneur d’allure de 4h30 me dépasse. On passe le Km 41, je reprends la course lentement. Les pieds trainent jusqu’au dernier virage avant la dernière ligne droite vers l’arche de l’arrivée. Elle n’est pas si loin, alors la même tête qui voulait marcher 5minutes plutôt se dit que tant qu’à finir le plus vite possible, autant sprinter. Et c’est ce que je fais, je dépasse quelques concurrents. Progressivement je vois la ligne d’arrivée de plus en plus proche, le public sur les côtés porte l’ambiance à son paroxysme.
Arrivée : 4h28m16
Je lève les bras, je souffle. Ca y est ! C’est fait ! Je suis marathonien de nouveau, je suis super fier. Quelques dizaines de secondes après, je sens le besoin de relâcher toute la pression. Je me retourne vers la ligne d’arrivée et je pousse victorieusement un cri de soulagement en agitant les bras. C’est ambiance grand chelem !
Varsovie, District de Praga Poludnie.
24 Septembre 2023.
Il est 5h55, je me réveille avant que l’alarme ne retentisse. Le soleil se lève tôt en Pologne.H-3 du début d’une course dont j’ai tant rêvé : le marathon de Varsovie.
Dans la tête, ce n’est qu’une journée normale pour l’instant qui démarre aux aurores. Les derniers mois de juillet, août et septembre avaient sensiblement ressemblé au début de cette journée. Le réveil est matinal, le petit déjeuner est somme toute classique composé de tranches de pain tartinées de fromage frais et d’un bon café chaud, tout cela sous les yeux attentifs de ma grand-mère chez qui je suis hébergé pour l’occasion. Nous nous parlons avec beaucoup de difficultés, dû à mon faible niveau de polonais. Pour une fois, c’est peut-être une bonne chose, car cela ne me permet pas d’exprimer des émotions profondes, puisqu’il s’agit d’une journée très importante pour moi, je ne dissipe pas mon énergie inutilement. D’un autre côté, je me sens très détaché de l’événement à venir. Etrange, quand on sait que je visualise cette course depuis plus de six mois.
7h45 : Le tramway arrive en station de Rondo Waszygtona. Je m’installe confortablement dans un siège, et le paysage urbain défile. Nous traversons la Vistule, j’aperçois le stade national de loin avec ses écrans rouges et blancs. Dans moins de 2h, le tracé de la course y passera dans les premiers kilomètres. Mais encore une fois je n’ai toujours pas le sentiment de participer à la course de ma vie. Un autre participant doté d’un k-way aux couleurs polonaises monte à bord du tram. Je commence à sentir petit à petit que le départ n’est plus très loin.
8h40 : Après être arrivé sur le lieu du départ au palais culturel et avoir mis en consigne le surplus d’affaires (Pull, Téléphone, T-shirt de rechange, une boisson énergisante), je rejoins le SAS de départ le long de l’avenue Emilii Plater. J’arbore un t-shirt de l’équipe de France des derniers Jeux Olympiques, ceux de Tokyo. Ça me donne le sentiment de ne pas seulement m’offrir un voyage sportif pour mes 30 ans, mais aussi de représenter mon pays dans une compétition bien que je sois qu’un amateur. L’objectif du jour n’est pas clairement déterminé : faire mieux que les 5h14 de mon seul marathon couru alors au mont Saint Michel, il y a déjà plus de 4 ans. La barre des 5h me semble accessible, mais je n’imagine pas faire beaucoup mieux non plus. Ma préparation théorique comptait 3 entrainements par semaine depuis le mois de Mai. Dans les faits j’étais plutôt autour de 2, mais avec un bon kilométrage au mois. J’étais aussi rassuré car dans la dernière année j’avais atteint mes meilleurs chronos sur 10km (49min30), 20km (1h48) et semi-marathon (1h58). Mais le marathon comporte plus de mystères, du fait d’une distance exceptionnellement longue. Je me place néanmoins à proximité d’un meneur d’allure à 4h30, ce que j’estime être très ambitieux, car l’objectif reste moins de 5h.
A 5 minutes du départ, après quelques mouvements d’échauffement collectif, je commence enfin à saisir l’instant, entrer dans ma bulle et savourer le présent au pied du palais culturel. Le départ est donné, j’ai confiance en moi et je suis prêt à en découdre pour améliorer l’ancien record. L’erreur classique de course à éviter c’est le départ trop rapide, je sais que je dois me limiter si je veux tenir dans la durée. Après un premier virage, la course démarre sur une grande avenue de Varsovie Jerozolimskie, un nom en référence à la population juive qui appela le village à proximité de Varsovie Nouvelle Jérusalem. La large avenue est surplombée par une alternance de bâtiments neufs qui lui donne un côté new-yorkais et d’anciens blocks de bétons soviétiques. Pendant la guerre froide, c’était Berlin qui était le centre du monde, mais aujourd’hui ce sera Varsovie pour moi. Et je suis très à l’aise puisque je préfère rapidement dépasser le meneur d’allure de 4h30. On croise tout type de participants, et c’est ce qui est amusant : un monsieur pieds nus qui porte le drapeau polonais, une femme déguisée en poupée barbie encore dans son carton d’emballage. Je dépasse un homme habillé aux couleurs de la Croatie. Cela me rappelle la finale de la coupe du monde 2018 où la France avait décroché une deuxième étoile. C’est tout un symbole que de dépasser ce monsieur, pour aller chercher mon deuxième marathon. On traverse la Vistule, en direction du stade national. Je regrette déjà d’avoir bu près d’un litre d’eau ce matin. Il faut que je m’arrête sur le côté le temps de se soulager. Un peu moins d’une minute de perdue, mais ça compte quand même. Je me dis que je vais accélérer pour être légèrement au-dessus des 10km/h.
Km 5 : 29min44. On est dans les clous des 10km/h. Je ralentis volontairement, car j’ai déjà rejoint le meneur d’allure suivant 4h20 et que ce temps me semble complètement hors de portée. Des ravitaillements sont plus fréquents que sur d’autres courses, environ tous les 3km, contre tous les 5km classiquement en France. De nombreux bénévoles aux ravitaillements sont de jeunes adolescents, qui dynamisent aussi l’événement. C’est festif, à presque chaque km, il y a soit un ravitaillement, soit des animations en musique ou encore des locaux qui supportent sur le bord de la route, parmi eux beaucoup d’enfants qui attendent qu’on leur tape la main. Au km 8, on traverse à nouveau la vistule, on restera du côté Ouest de la ville pour la reste de la course. A l’exception des abords des ponts, le tracé est bien plat, et c’est tant mieux.
Km 10 : 1h00m20. J’ai légèrement ralenti, mais ça ne fait rien. Avec les fréquents ravitaillements, je n’ai pas pris de sac pour l’eau, seulement 4 gels énergétiques dans la ceinture porte dossard. Je mange le premier gel, sans pour autant en sentir le besoin, mais il faut répartir dans la durée l’apport en sucre. L’ambiance est complétement dingue, dans ce quartier du centre-ville. Beaucoup de supporters sont présents de part et d’autre de la route, il y a une effervescence caractéristique des grands événements comme le tour de France. Les supporters ont quelques goodies, font du bruit, et participent largement à l’entrain des coureurs. Cependant il faut rester calme, et ne pas se laisser emporter par l’agitation du moment. La course ne démarrera qu’autour du 30ème km, le fameux mur, que j’avais rencontré dès le km 26 lors du premier marathon qui m’avait obligé à alterner progressivement entre course et marche. Un deuxième arrêt toilettes, et on repart aussitôt. La tête et les jambes sont bonnes, j’ai déjà 5 minutes d’avances sur le moi de 2019. Les kilomètres suivants sont plus calmes aux abords de la course. On longe notamment un cimetière, où il y a naturellement moins d’animation.
Km 15 : 1h29m23. Toujours dans le même rythme, l’ambiance a changé et le paysage aussi. Nous traversons la forêt de Bemowo, située au nord-ouest de Varsovie, sur des longues lignes droites. Autant la course n’a pas de dénivelé, autant les longues lignes droites ne sont pas rassurantes. Je trouve qu’on peut se lasser vite, par la monotonie du chemin, et pire se décourager. Heureusement un petit groupe inattendu sur le côté s’adonne avec joie à un rap au milieu de la forêt. Ca redonne au moins autant d’énergie que les ravitaillements. La route se poursuit, la longue ligne droite est désormais derrière moi.
Km 20 : 1h59m23. Le rythme est inchangé, et je suis hyper confiant. J’ai entre 15 et 20 minutes d’avance sur le moi de 2019, et je me sens toujours bien. Pourtant au km 23, en sortant de la forêt, dans une zone d’activité, je sens le besoin de ralentir un peu. Je suis sur un rythme pour finir en 4h12 jusqu’ici et c’est normal que je ne le tienne pas jusqu’au bout. La fatigue commence à s’exprimer et je ressens des premiers signes dans les ischio jambiers. C’est une petite alerte, mais rien de critique. Je continue mais je me laisse volontairement ralentir, car ce serait dommage de se cramer dès le début de la deuxième moitié de course comme la dernière fois. Le groupe de musique au loin joue un air de jazz de salon, rien de très énergique. Au moment où le peloton de coureur dans lequel je suis passe devant, le batteur change radicalement et improvise un air endiablé. La fougue m’emporte et je lâche mon premier encouragement en criant « Aller ! ».
Km 25 : 2h30m59. Le ralentissement ne se ressent pas encore beaucoup dans le chrono. Ça reste très proche des 10km/h au global. Donc plutôt satisfaisant, mais je me rends compte que je fatigue aussi mentalement parce qu’au lieu de se satisfaire des km derrière moi qui se sont bien passé, j’enclenche le compte à rebours de ceux restants. Aller plus que 17, c’est quoi ? 3 tours du parc proche de chez moi.
Km 30 : 3h04m09. Les ravitaillements sont de plus en plus attendus, le soleil a chassé la grisaille depuis un moment et le corps se réchauffe. J’ai besoin de boire plus d’eau qu’avant. Et heureusement je n’ai pas à attendre 30 minutes entre deux. J’aperçois mes cousines et ma tante postées sur le côté. Leurs encouragements sont brefs, mais font chaud au cœur. Je pense à ma famille en France, qui n’a pas pu venir avec moi faire le voyage. Je veux les rendre fiers, et pour l’instant c’est bien parti. Quand j’ai un coup de mou, j’y repense, et ça me maintient dans une allure toujours suffisamment soutenue et confortable. Nous parcourons les grandes avenues longues et pavées de bâtiments de l’époque communiste. On passe sur un pont. La montée est pénible, mais encore une fois le groupe de musiciens est idéalement placé au bout, et permet de se relancer. Je crie de nouveau
Km 35 : 3h37m25. J’ai du mal à y croire, mais c’est une journée extraordinaire. Je n’ai toujours pas ressenti le besoin de m’arrêter de courir. J’ai espoir que si ce n’est pas arrivé jusque maintenant, c’est que ça n’arrivera peut-être pas du tout. Enfin, ce n’est pas garanti à 100%, puisque les jambes s’alourdissent de plus en plus. Je sens vraiment que ça se complique quand les meneurs d’allures 4h20 me dépassent. Je ne cherche surtout pas à me calquer sur leur allure. C’est trop tard, et je me dis que je suis en train de payer ma vitesse sans doute trop élevée sur le début. Temps pis, il faut finir maintenant malgré la douleur. Au km 38, alors que nous entrons dans la vieille ville, un speaker au micro encourage les participants en lisant les noms sur les dossards. Quand vient mon tour il s’exclame joyeusement « Reprezentaci Francie, Nicolas ! ». Je suis content, mais les km qui viennent sont de plus en plus insupportables. Il y a urgence à ce que ça se finisse ! Les émotions se mélangent, entre fierté d’être aussi avancé dans la course avec un temps qui va forcément être meilleur que celui de 2019, la tristesse de vivre cela dans la douleur et peut être un peu de colère, mais pas de remise en question sur le fait de participer à cette course. Je sais ce que je suis venu chercher, j’y vole.
Km 40 : 4h13m14. Le public encourage vivement « Ostatnie dwie kilometrow !», « Les deux, derniers kilomètres ! ». C’est difficile, mais maintenant c’est un jeu de patience. Il ne faut pas craquer, malgré les douleurs, la pression. Le résultat sera incroyable quoi qu’il arrive, mais je ne veux avoir aucun regret alors je continue de courir même si les pieds et les jambes réclament l’arrêt immédiat. Une descente dans un tunnel sur une rue pavée, une fanfare qui joue un morceau bien encourageant, la montée pour revenir au niveau de la rue est rude. Je me fais dépasser par une participante avec un maillot floqué FRANCE. Je regarde ma montre, le cœur bat la chamade. Le battement cardiaque est trop important, alors je décide de marcher sur une courte distance, peut-être 200m. Le meneur d’allure de 4h30 me dépasse. On passe le Km 41, je reprends la course lentement. Les pieds trainent jusqu’au dernier virage avant la dernière ligne droite vers l’arche de l’arrivée. Elle n’est pas si loin, alors la même tête qui voulait marcher 5minutes plutôt se dit que tant qu’à finir le plus vite possible, autant sprinter. Et c’est ce que je fais, je dépasse quelques concurrents. Progressivement je vois la ligne d’arrivée de plus en plus proche, le public sur les côtés porte l’ambiance à son paroxysme.
Arrivée : 4h28m16
Je lève les bras, je souffle. Ca y est ! C’est fait ! Je suis marathonien de nouveau, je suis super fier. Quelques dizaines de secondes après, je sens le besoin de relâcher toute la pression. Je me retourne vers la ligne d’arrivée et je pousse victorieusement un cri de soulagement en agitant les bras. C’est ambiance grand chelem !
Merci.
Content de vous faire voyager avec du texte uniquement. :)
Ton récit m'a vraiment replongé dans mon Erasmus a Varsovie :D bravo !